Sommet mondial écologique de Québec 2025 : Thierry Mashagiro appelle à un « droit vivant » pour protéger les déplacés environnementaux

Alors que les dérèglements climatiques s’accélèrent et provoquent des déplacements massifs de populations, la communauté internationale peine à adapter ses outils juridiques. C’est ce constat alarmant qu’a dressé Thierry Mashagiro Kwizera, expert en droit international écologique et enseignant à l’Université Catholique La Sapientia de Goma (RDC), lors de son intervention remarquée au Sommet mondial écologique de Québec 2025.
De Goma au Québec : quand le volcan révèle les failles du droit
C’est avec une expérience personnelle et dramatique que Thierry Mashagiro a illustré l’urgence de la situation. Le 22 mai 2021, le volcan Nyiragongo entrait en éruption, forçant plus de 450 000 personnes à fuir précipitamment la ville de Goma. « En 48 heures, des centaines de milliers de personnes ont fui sans plan d’évacuation clair, sans assistance durable, et surtout sans cadre juridique adéquat pour les protéger », a-t-il rappelé.
Ces personnes déplacées internes n’ont aujourd’hui aucun véritable statut juridique précis : ni réfugiés au sens classique, ni reconnus par une norme internationale qui leur soit pleinement applicable. Un vide juridique inquiétant qu’il qualifie de situation « entre les normes ».
Des traités internationaux insuffisamment appliqués
Pour Mashagiro, l’échec des États à protéger efficacement les populations vulnérables vient d’une mise en œuvre défaillante des nombreux accords internationaux signés depuis les années 1990. Parmi les textes existants :
- La Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC),
- L’Accord de Paris (2015),
- La Convention sur la diversité biologique,
- Le Cadre de Sendai (2015–2030) sur la prévention des catastrophes.
« Partout les textes abondent, mais l’action reste dispersée et désordonnée, faute de mécanismes juridiques contraignants et de coordination efficace », déplore l’universitaire congolais.
Même la Convention de Kampala sur les déplacés internes reste muette sur les déplacements liés aux catastrophes climatiques, laissant des millions de personnes sans véritable protection.
Vers une « plasticité du droit » : un concept clé pour l’avenir
Face à l’immobilisme, Mashagiro propose un concept novateur : la plasticité du droit.
« C’est la capacité du droit à évoluer sans perdre son essence. Un droit vivant, réactif, capable de s’adapter aux crises complexes et évolutives du XXIᵉ siècle », a-t-il expliqué.
Contrairement à une idée reçue, cette plasticité n’affaiblit pas la norme juridique, elle la renforce en l’adaptant. Pour cela, la « légistique », ou l’art de rédiger des lois, devient essentielle. Il propose notamment :
- Des clauses de révision périodique inscrites dans les textes,
- Des sunset clauses permettant l’expiration automatique de certaines lois pour réévaluation,
- Des expérimentations territoriales,
- Des normes souples indexées sur des indicateurs écologiques,
- Des dispositifs hybrides mariant droit dur et soft law avec participation citoyenne.
Des exemples africains de plasticité juridique déjà à l’œuvre
Mashagiro a illustré ses propos par plusieurs initiatives africaines qui témoignent d’une forme de plasticité juridique déjà expérimentée sur le terrain :
• Moratoires forestiers au Gabon et en RDC
Ces suspensions de nouvelles concessions forestières visent à freiner la déforestation, préserver les puits de carbone et réorganiser la gouvernance environnementale. Au Gabon, ces mesures s’accompagnent de certifications internationales, tandis qu’en RDC, un moratoire existe depuis 2002 malgré une application inégale.
• Codes miniers révisables au Niger et en Guinée
Les codes miniers de ces deux pays prévoient une révision automatique régulière pour intégrer les évolutions environnementales et sociales. Une flexibilité juridique saluée, mais qui requiert une forte volonté politique pour être effective.
• Dispositifs locaux d’alerte environnementale au Bénin et en Afrique du Sud
Ici, les innovations viennent des communautés locales : comités de veille au Bénin et applications numériques d’alerte climatique en Afrique du Sud. Des mécanismes agiles mais souvent hors du cadre juridique formel.
« Ces innovations existent mais restent éparses. Il est temps de les structurer, les harmoniser et surtout de les inscrire dans le droit positif », a insisté Mashagiro.
Les déplacés climatiques : des oubliés du droit
Un des points centraux de son plaidoyer reste la nécessité urgente de créer un véritable statut juridique international pour les déplacés climatiques internes.
« Ceux qui fuient une éruption volcanique, une montée des eaux ou une sécheresse prolongée méritent une reconnaissance et une protection juridique à part entière », a martelé le juriste congolais.
Selon lui, il est temps de compléter la Convention de Kampala et de construire de nouveaux instruments juridiques adaptés aux réalités des crises environnementales modernes.
Une co-construction avec la société civile
Mashagiro défend également une approche participative dans l’élaboration de ce nouveau droit :
« Le droit plastique n’est pas un produit réservé aux experts. Il doit être co-construit avec la société civile, les ONG, les juridictions environnementales et les communautés locales. C’est ainsi qu’il gagnera sa légitimité populaire et sa résilience. »
Une conclusion puissante : « Le droit vivant comme outil de survie »
En clôture, Thierry Mashagiro a livré un message fort et visionnaire :
« Face aux effondrements, le droit ne doit pas s’effondrer avec nous. Il doit nous maintenir debout. La plasticité juridique n’est pas une option théorique, c’est une condition de survie normative. »
Son intervention a suscité de vives réactions positives dans la salle, certains experts saluant une « feuille de route réaliste et audacieuse » face à un monde juridique souvent paralysé par ses propres rigidités. Québec 2025 aura incontestablement été le théâtre de ce plaidoyer percutant pour un droit international écologique plus souple, plus humain, et surtout, plus vivant.